1988.
On est tous le fish de quelqu'un...
Le fish est, dans le langage imagé et franglais des joueurs de poker, un nul, un joueur très mauvais. Donc, traiter un joueur de fish est l'expression consacrée lorsque l'on perd et que l'on estime que jamais l'autre n'aurait dû suivre ou relancer. Un de mes bons amis d'école était fan de cartes, et plus précisément de poker. Un ami des fabuleux Cours Nogentais. A l'époque, nous jouions au poker dit fermé. Plus tard, nous nous sommes croisés de nouveau, tout à fait par hasard, dans les embouteillages parisiens. Nous avons pris rendez-vous pour le soir même, afin d'arroser cela, au Fouquet's, un bar que nous fréquentions déjà en Terminale. Il m'expliqua avoir fait de son passe-temps favori, le poker, son ''métier''. Il avait donc viré joueur de poker professionnel. C'était quelques 10 ans avant le grand engouement pour le poker on-line, qui arriva vers les années 2000. Sur le Net, dans les Cercles et dans les casinos, la France découvrait le Poker Texas Holden, avec quelques 50 ou 100 ans de retard sur les précurseurs américains. J'avais perdu de vue cet excellent ami d'école, car j'avais monté mon affaire dans la publicité. Nous avions des amies communes, telles Corinne G. Carole D, Christine C. Lui, Claude, travaillait la nuit. Sur des tables privées essentiellement... Il m'annonça lors de ces retrouvailles tout à fait fortuites, être un ''très'' bon joueur de poker et gagner sa vie très correctement aux tables de jeu privées.
J'avais quant à moi rencontré dans mon restaurant attitré, le restaurant Corse Vivatio, où j'ai rencontré J. Dutronc, deux joueurs de poker. Des as, oui ; mais des tricheurs. Que nous appellerons J et P. Nous les avions provoqués en rigolant, mes amis et moi et ils nous avaient fait une démonstration de leurs dons, tout à fait réels. Ils ''montaient'' les cartes avec brio, avec un rare talent. Tantôt un carré servi, tantôt un brelan pour ne pas être trop voyant. Si bien que je parlai à mon ami Claude (aujourd'hui décédé) de ces deux garçons, qui étaient sensiblement plus âgés que nous. Mon ami est resté buté (le fameux ego des joueurs de poker que j'ai découvert de 2012 à 2020, après avoir monté un blog de poker). Il me dit :
« je n'y crois pas une seconde, je repère tout de suite les tricheurs, d'autant plus que tu m'as prévenu ! Je connais tout ce petit monde à Paris et tes deux amis ne font pas parti des joueurs qui ''montent les cartes'', et que, chaque joueur qui se respecte, connaît sur Paris. »
Il m'a demandé d'organiser une partie. Je l'ai à nouveau prévenu et découragé en lui demandant de ne pas insister, que les dés étaient pipés, qu'il allait perdre de l'argent, etc... Il a insisté. Par orgueil sans doute ou pour me montrer son (réel) talent. Ok ok, après tout, tu l'auras voulu Claude...
J'ai organisé la partie. A quatre. J'ai alors reçu un festival de quintes servies, de brelans, de fulls ou de carré... Il était convenu que je faisais comme je voulais, ou je suivais, ou je relançais, ou j'attaquais ou je me couchais... Bref, j'ai laissé aux trois joueurs, quelques 2000 F et je suis rentré me coucher. Dès le lendemain, Claude m'a appelé :
« Ce n'est pas possible, je n'ai jamais perdu autant et je n'ai rien vu ! Donc, premièrement étant par définition plus fort qu'eux (égo) : soit ils trichent encore mieux que les habituels tricheurs connus sur la place de Paris et là, chapeau ! Ou alors, ils ont eu une chance insolente. Cela m'a coûté 10.000 F et une belle leçon d'humilité. Ils m'ont proposé une revanche, inutile de te dire que j'ai préféré décliner l'offre ».
Rien ne va plus !
Ces deux ''tricheurs'', P. et J., avaient des ''clients habituels'' à leur table. Des femmes et hommes addicts, qui ne se lassaient pas de jouer et de perdre. Car perdre aussi est une vraie addiction. Que ce soit aux courses, au casino ou au poker. Cela s'est très mal passé avec un notaire de la Région Parisienne. L'histoire est la suivante.
Après quelques parties perdues, la dette s'est accumulée et au bout d'un bon moment, ayant atteint le chiffre de 1 Million de Francs, (150K€) l'heure était venue, pour le notaire, de passer ''à la caisse''. Et même pour un notaire, à moins de taper dans la caisse professionnelle, 1 MF c'était ''hard''. Il a donc subi des ''relances'', façon débiteur en rogne, une fois, deux fois, trois fois... Le plus calme des deux, P., est allé enfin à un rendez-vous à Paris, fixé par le notaire afin de percevoir le solde de la dette (environ 500 KF.) P. est donc venu seul au rendez-vous, et après être entré dans le hall d'un vieil immeuble du 20 ème, il a été accueilli dans le hall d''entrée sombre de la cage d'escalier, par une silhouette masculine qui l'a interpellé :
« Salut. L'argent est là, approche... »
P. s'est approché et, à bout portant, l'ombre sans visage lui a tiré un coup de feu dans le cou. P. est tombé et nous a raconté longtemps après, (car il a passé des mois à l'hôpital), qu'il avait entendu le ''tueur'' dire à un acolyte resté dans l'ombre :
« Celui là, au moins, il n'embêtera plus le notaire ! »
P. a prévenu, en son temps, son ami et associé J.
« D'ailleurs il lui a dit : "surtout, fais comme si c'était une attaque accidentelle sinon il ne voudra plus jamais casquer. Pas de flics dans nos histoires...".
Comble d'ironie, le fameux notaire, commanditaire de la tentative d'assassinat est venu voir P. à l'hôpital, jouant parfaitement son rôle d'ami bouleversé. Les deux larrons ont été, eux aussi, d'excellents acteurs et ce, jusqu'au bout ! Ils ont joué les innocents, disant à qui voulait l'entendre que cet accident était le fruit du hasard. Le notaire a été obligé de contracter un emprunt pour solder sa dette ''d'honneur''. Il n'y eut jamais de plainte déposée auprès des services de Police, ni d'une part, ni de l'autre... En revanche, ils n'ont plus jamais joué ensemble. D'ailleurs, P. était beaucoup trop amoindri physiquement, pour avoir à la fois une élocution correcte et pouvoir continuer de distribuer les cartes, avec la dextérité dont je vous ai parlé. Chacun des trois acteurs de ce drame a perdu gros. Le notaire, une grosse partie de son argent. P. est resté très diminué physiquement, après cet ''accident du travail''. J., quant à lui, a perdu son associé, donc sa source principale de revenus. N'oublions pas que ''monter'' les cartes, c'est bien. Mais si le receveur des dites cartes, n'est pas complice, rien ne va plus !
Article extrait des Mémoires de Janluk